Interview TINDANO Tani

TINDANO Tani, l’étudiante héroïne de son handicap visuel

TINDANO Tani Diadiapoa est une étudiante en journalisme à l’ISTIC, actuellement en stage à la radio nationale du Burkina. Malgré le handicap visuel qu’elle traine depuis sa naissance, elle a soutenu sa Licence en juin 2022 et a obtenu la moyenne de 18/20. Nous l’avons rencontrée le mardi 04 avril dernier dans les locaux de la radio nationale afin qu’elle nous livre son secret. Lisez plutôt !

CANAL EDUCOM (C .E) : Bonjour Mademoiselle !

TINDANO Tani (T.T) : Bonjour Monsieur !

 C .E : Pourriez-vous vous présenter à nos internautes ?

(T.T) : Je suis TINDANO Tani Diadiapoa. Je suis originaire de la province de la Gnagna, précisément de la commune de Manni, village de Boungou Natimsa.

C .E : Quel est votre parcours scolaire et universitaire !

(T.T) : je suis née avec un handicap visuel et je suis issue d’une famille polygame de 09 enfants dont je suis le quatrième. J’ai eu la grâce d’aller à l’école grâce au soutien de mon oncle maternel et également la maman parce que j’ai été élevée par la grand-mère maternelle. Je suis allée c’est la grand-mère maternelle à peu près à l’âge de quatre ou cinq ans. Je vivais avec elle et après, le papa est décédé.

Je ne suis plus repartie dans la famille paternelle. Ce n’est qu’en 2006 que le Centre Handicapés en Avant (CHA, ndlr) de Mahadaga, province de la Tapoa a fait des démarches dans la province de la Gnagna pour retrouver des enfants en situation de handicap pour les inscrire à l’école.

Mais il est passé par les églises et le message était qu’ils vont soigner ces personnes gratuitement. Comme c’est l’habitude des églises d’aider les gens, ils ont cru et c’est là que mon oncle a pris la décision de m’amener à Piéla, parce qu’ils ont collaboré avec le centre médical de Piéla.

Lorsque nous sommes arrivés, ils nous ont fait savoir que c’est vrai qu’ils vont soigner mais le but était d’inscrire ces enfants à l’école, parce qu’ils peuvent réussir aussi comme les autres enfants lorsqu’ils sont dans des conditions adaptées

C’est ainsi que j’ai été inscrite à partir de l’année scolaire 2006-2007, je suis allée à Mahadaga pour les études. De 2006 à 2011, j’ai fréquenté à l’école intégratrice du Centre et j’ai obtenu le CEP (Certificat d’Étude Primaire (ndlr) en 2011. Après, j’ai continué au collège privé évangélique Hamitandi dans le même village. 2011-2016, j’y ai obtenu le BEPC et 2016-2019, j’ai fréquenté au lycée public du même village et là j’ai obtenu le Bac en 2019. Je suis venue à Ouaga pour poursuivre parce que depuis ma classe de quatrième, j’avais l’envie de devenir journaliste, pour faire comprendre que malgré le handicap, on peut servir son pays si on a la volonté et qu’on est accompagné.

C .E : Pourquoi avez-vous choisi particulièrement le journalisme pour servir votre pays ?

(T.T) : le parcours que je viens de vous tracer a été en quelque sorte le déclic à mon niveau pour devenir journaliste. Parce que la première fois que j’ai été sur un plateau de radio c’était en 2014 et c’était avec la radio Tintua de Piéla. Quand le journaliste m’a reçue, il m’a juste posé des questions sur mon parcours. Il m’a dit de laisser mon contact s’il ya des gens qui veulent appeler pour mieux comprendre ou qui veulent m’encourager. Après il a rediffusé l’émission

Par la suite les gens ont appelé et leurs réactions m’ont fait comprendre qu’étant en situation de handicap, ma présence seulement pourrait encourager les parents des enfants qui vivent avec le handicap à pouvoir comprendre que c’est possible et peut-être à chercher à comprendre par quel chemin passer pour que leurs enfants aussi puissent suivre mes traces.

En plus, je veux aussi travailler, étant dans le journalisme, avec des structures qui travaillent dans la promotion de l’éducation inclusive pour les mettre en lumière pour encourager les parents à inscrire les enfants qui vivent avec le handicap pour permettre un développement inclusif du pays.

Voilà ce qui m’a motivé à m’orienter dans le journalisme, sans un repère parce qu’il n’y’a pas quelqu’un d’autre qui a déjà réussi dans le milieu avec le handicap visuel. Je suis la toute première étudiante à être formée dans une école de journalisme avec un handicap visuel

C .E : Quel est le climat dans lequel vous avez évolué durant votre parcours ?

(T.T) : J’ai rencontré des difficultés après la classe du C.M2.  À ma sixième, les enseignants étaient réticents parce qu’ils ne comprennent pas l’alphabet braille. Il est vrai qu’il y avait une collaboration entre la structure de base et l’établissement qui reçoit ces enfants, mais au début les enseignants sont réticents parce qu’ils trouvent que le fait qu’on ne peut pas voir, on les mets en retard, il faut qu’ils reprennent des choses pour qu’on puisse noter.

C’était à ce niveau les difficultés. Mais particulièrement avec l’ISTIC (Institut des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication, ndlr) où je fais le journalisme, c’est vrai qu’au début, eux aussi ils n’étaient pas trop partants mais j’ai insisté.  Je leur dit que je sais que c’est difficile, mais ils peuvent me laisser essayer. Si je n’arrive pas, je serai convaincue que le journalisme et le handicap visuel ne vont pas ensemble et si j’arrive à le faire, ils seront les premiers à avoir essayé et ils entreront dans l’histoire des personnes handicapées. Et là quand ils ont commencé, l’administration a pris le soin d’échanger avec tous les encadreurs qui devaient nous enseigner. Cela m’a plus facilité les choses parce que les enseignants étaient très compréhensifs et mes camarades de classe également. Je n’ai pas rencontré trop de difficultés à l’ISTIC

C .E : Malgré votre handicap, vous vous êtes imposée jusqu’aujourd’hui. Dites-nous, quel est votre secret ?

(T.T) : Je peux dire que c’est le soutien de Dieu. Parce que le Centre Handicapés en Avant de Mahadaga où j’ai commencé, est une structure chrétienne qui a Dieu pour base c’est là que j’ai eu la grâce de connaitre le Seigneur Jésus Christ. Chaque fois qu’il y a des situations qui me dépassent, je demande son aide et j’ai toujours demandé aussi le soutien des uns des autres pour m’encourager.

Mais il y a l’objectif visé aussi. Pour le Bac, ce n’était pas facile mais je savais que pour faire le journalisme il fallait forcement avoir le Bac. C’était l’objectif que je visais plus loin qui me permettait d’affronter les difficultés pour pouvoir évoluer. Donc voilà les deux : il y avait Dieu à côté de moi et l’objectif que je visais au-delà du Bac.

C .E : « L’enseignement de l’alphabet braille au primaire et au secondaire, une alternative pour une éducation inclusive au Burkina Faso. » C’est votre thème de mémoire. Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce thème ?

(T.T) : L’alphabet braille c’est ce que j’ai utilisé depuis le primaire. Donc dès le bas âge, je l’ai utilisé. Lorsque je suis arrivée, j’ai voulu comprendre l’histoire de l’alphabet braille au Burkina Faso. Parce qu’on nous a raconté son historique sur le plan international. On nous a fait savoir que le mot « braille » c’est le nom de Louis Braille qui est l’inventeur de l’alphabet et il a été aussi quelqu’un qui as vécu avec le handicap. Maintenant, j’ai voulu comprendre en quelle année l’alphabet braille est venu au Burkina Faso, comment je suis arrivée à avoir cette grâce d’aller à l’école grâce à cet alphabet. Voilà ce qui m’a motivée à choisir le thème ; et également faire comprendre aux enseignants qui hésitent que l’alphabet braille est une écriture comme toute autre écriture et quand on veut, on peut l’apprendre.

C .E : Que pensez-vous de la politique de l’État burkinabè à l’égard de l’éducation inclusive ?

(T.T) : L’éducation inclusive, pour qu’elle puisse être une réalité au Burkina, il va falloir continuer, parce qu’il reste beaucoup à faire. Il y a l’éducation spécialisée qui consiste à mettre les enfants qui ne voient pas dans une école où on utilise le braille, les enfants qui n’entendent pas, qui ne peuvent pas parler dans une école où on utilise les signes et les enfants autistes qui ont besoin d’une attention particulière parce qu’ils ont un retard de langage ou autres, dans des écoles où les enseignants sont bien formés pour cela. Et maintenant l’éducation intégratrice qui consiste à mettre des enfants qui vivent avec un handicap dans les classes classiques avec les autres enfants et les accompagner. L’éducation inclusive, quant à elle, suscite une formation inclusive de tous les acteurs, c’est sur cela qu’on est pour le moment.

Mais, ce n’est pas encore effectif selon moi, parce qu’il ya toujours des écoles où les enseignants n’ont aucune idée sur l’alphabet braille ou sur le langage de signes ou encore sur comment aider un enfant qui a un problème de retard de langage ou qui a des difficultés pour comprendre les choses à pouvoir évoluer au même niveau que les autres. Donc je pense que le sérieux problème se pose pour le moment sur la formation des enseignants. Pendant longtemps, on a plus parlé de l’éducation inclusive à l’école primaire et là, à plusieurs niveaux il y a eu d’évolution. Mais après l’école primaire, il y a beaucoup de problèmes qui se posent.

Parce qu’au niveau des lycées et collèges, chaque enseignant a sa matière, et pour cela, c’est un peu complexe, parce qu’il va falloir former tous les enseignants, chacun avec sa matière. Mais à l’école primaire, en formant un enseignant, il peut déjà travailler avec toutes les matières. Donc cela fait qu’il y a un problème à ce niveau qu’il va falloir travailler à corriger, vu qu’il y a plusieurs enseignants, il va falloir trouver un moyen, peut-être passer par les écoles de formation pour que tous les enseignants  puissent avoir une idée, pour au moins ceux qui sont passés par l’école de formation et là peut-être ils pourront aider les autres et au fur et à mesure, ça va aller. On a l’espoir. C’est difficile mais ça va venir.

C .E : Quel message avez-vous à l’endroit des élèves et étudiants qui sont dans la même situation que vous ?

(T.T) : C’est juste les encourager. Parce que les personnes handicapées sont obligées de faire face dans leur quotidien aux difficultés. Il ne faut pas attendre que les choses soient faciles. Parce que, souvent, on est en situation de handicap, on pense que c’est ce qui fait que les gens nous font ce qu’ils font. Mais nous sommes dans une société où les gens veulent voir avant de croire et nous sommes obligés de faire partie des meilleurs pour prouver que c’est difficile, mais ce n’est pas impossible. On doit travailler à prendre ce que les gens posent comme inquiétude comme des moyens et non des freins. Parce que les bons résultats ont toujours fermé les bouches des gens qui sont sceptiques. Donc je les encourage à bien travailler à l’école et être respectueux et échanger avec les enseignants en dehors de la classe. Si vous sentez que l’enseignant ne vous comprend pas, attendez qu’il finisse son cours et vous l’attrapez en dehors de la classe et vous expliquez sagement vos inquiétudes.

C .E : Avez-vous un message particulier à l’endroit de nos lecteurs ?

(T.T) : À l’endroit des lecteurs, c’est juste leur dire que si vous voyez quelqu’un qui a un enfant qui vit avec un handicap, il faut l’encourager, parce que certaines personnes ne savent pas. Vous, vous avez peut-être la grâce de comprendre qu’il y a des gens qui vivent avec un handicap et qui s’en sortent malgré tout. Il faut surtout aider les parents à éduquer les enfants en situation de handicap comme les autres enfants parce que, si au-delà du handicap physique, l’enfant a un handicap mental, si dès le bas âge, on lui a fait croire qu’il ne peut pas faire ceci ou cela et il grandit avec cet esprit, il aura plus de difficultés que si vous l’aidez à avoir un mental positif pour pouvoir dominer son handicap physique.

C .E : Merci d’avoir répondu à nos questions !

                                                                                         Par Barnabé NAMOUNTOUGOU

Éduquer ensemble pour mieux vivre.

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